Résumé de la conférence « l’évolution du travail humain à l’heure de l’intelligence artificielle »

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Philippe Trouchaud, dirigeant d’entreprise, spécialisé en Cyber Intelligence, Etienne de Rocquigny, mathématicien et entrepreneur, Éric Charmetant, philosophe des sciences, et  Dominique Degoul, directeur du centre Teilhard de Chardin, ont apporté des éclairages philosophiques, scientifiques, économiques et théologiques, sur ce sujet lors de la conférence du Centre Teilhard de Chardin du 21 septembre 2023.

Philippe Trouchaud a débuté la conférence en exposant le contexte actuel de l’intelligence artificielle (IA) dans le monde du travail.
Cette technologie représente une des priorités d’investissement pour une grande majorité des dirigeants d’entreprise. Selon ses promoteurs, son utilisation efficiente permettrait de proposer de nouveaux services et d’avoir de nouvelles capacités à moindre coût. Cependant, malgré l’engouement pour la technologie et le très fort niveau d’investissement des entreprises, de nombreuses personnes ressentent de l’angoisse face à l’impact potentiel de l’IA sur leur vie, et en particulier sur l’emploi.
Toutefois, celle-ci est déjà présente et utile dans de nombreux domaines, comme pour le diagnostic en santé.  Selon l’OCDE, 82 % des emplois seront reconsidérés d’ici 5 ans en raison des technologies, en particulier l’IA, bien que les perspectives soient parfois divergentes sur les conséquences de cette révolution technologique. Cette vision pessimiste de l’IA viendrait en partie d’une exposition médiatique négative selon Philippe Trouchaud, véhiculée par représentations ou films tel « 2001 l’Odyssée de l’espace », où des machines prennent le contrôle face aux hommes.

Etienne de Rocquigny

Etienne de Rocquigny, qui est aussi président de l’association « Espérance & Algorithme », choisit de parler du philosophe et entrepreneur social Pascal pour introduire l’IA. Dans le prolongement de Pascal, il estime que l’aventure de l’IA est une aventure avant tout rhétorique, ce qui commence par l’ « oxymore géniale » qu’est le terme « d’intelligence artificielle ». On fait promettre de nombreuses choses à l’IA et son caractère novateur est exacerbé. Il pense que ces « assauts de rhétoriques » sont mis en œuvre afin de faire venir les investisseurs, alors même que cette technologie n’est pas aussi nouvelle que le laissent entendre ces présentations. L’IA ne détruit pas le travail en soi, car les changements qu’elle induit dans le monde du travail sont lents. Cependant, le vrai risque est de l’ordre spirituel. L’IA introduit une rupture épistémologique liée à l’accès aux sources, amplifiée par des outils tels que ChatGPT. Ce changement pourrait entraîner des conséquences sur la manière dont nous comprenons et utilisons l’information, soulevant ainsi des questions sur le contrôle de la vérité et de la connaissance, mais surtout sur l’emprise des technologies et sur l’accès à celles-ci.

La discussion, menée par Éric Charmetant, s’est tournée ensuite vers plusieurs questions liées à l’évolution du travail humain à l’heure de l’intelligence artificielle.

« Quelles modifications l’intelligence artificielle induit-elle dans les processus de travail ? »

Tout d’abord, les changements que l’IA pourrait apporter aux métiers et aux processus de travail ont été abordés. Il est clair pour Etienne de Rocquigny et Philippe Trouchaud que l’IA va modifier nos habitudes de travail, en particulier celles des cadres et des fonctions de gestion. Ils auront à leur disposition des outils d’assistance personnelle qui les aideront dans la réalisation de leur métier, qui ne sera lui pas pour autant modifié a priori par l’IA. La question de l’impact de l’IA sur les emplois est, elle, plus délicate.

Va-t-il y avoir des disparitions d’emplois ? Quels métiers vont être remplacés par l’IA ?

Philippe Trouchaud s’interrogea sur quelles catégories d’emplois sont les plus susceptibles d’être modifiées, voire remplacées, par l’IA, entre des métiers où la connaissance est cruciale ou des métiers peu qualifiés facilement automatisables. Ces changements entraîneront sans doute des répercussions sociales fortes et amèneront nécessairement des questions de partage de la richesse.  Pour Etienne de Rocquigny, les transformations engendrées par l’IA porteront sur le sens du travail et constituent à la fois une opportunité et un risque pour celui-ci. Le sens du travail aura l’opportunité d’être approfondi lorsqu’une IA interviendra dans nos métiers, si l’on cherche à donner du sens à l’utilisation de de cette technologie. L’IA va nous pousser à connaître la finalité de notre travail.

Cette discussion amène Éric Charmetant à poursuivre ensuite le dialogue sur l’évolution des métiers des « cols blancs » et les conséquences sociétales des transformations apportées par l’IA sur le monde du travail :

« Quelles seront les conséquences sociétales de l’introduction de l’IA dans le travail ? »

Philippe Trouchaud souligne les apports exceptionnels de l’IA dans l’informatique et notamment sur la qualité logicielle et la cybersécurité. Il parla alors de la possibilité de remplacer des savoir-faire, qui pour certains seront perdus, notamment dans l’informatique. L’IA permettra aussi d’accomplir des tâches autrefois hors de portée. Etienne de Rocquigny voit quant à lui la limite de l’IA dans le relationnel. Paradoxalement, il y a selon lui des opportunités réelles pour redonner de la valeur à du travail de terrain.

Philippe Trouchaud

La question de l’IA dans un monde en transition écologique est ensuite abordée par Éric Charmetant :

« Dispose-t-on d’assez de ressources sur la Terre pour soutenir le développement de l’IA ? »

Bien qu’Etienne de Rocquigny ne puisse pas apporter aujourd’hui de réponse claire à ce sujet, il rappelle qu’il faut voir dans l’IA des outils pour nous aider à faire cette transition écologique. L’Homme en tant que co-créateur est aussi pour lui une réponse à ces enjeux : les possibilités de l’Homme sont multiples, d’autant plus avec l’IA. Pour Philippe Trouchaud, la concentration de ces technologies et donc des consommations d’énergie dans des lieux précis, comme les data center, rend la transition plus facile à effectuer que pour d’autres formes d’activités humaines, où les consommations sont plus dispersées et multiples, comme le transport et la logistique. L’IA pourra aussi aider à optimiser ces autres activités, dans un sens plus écologique.

La conférence s’est conclue par une  série de  questions-réponses, où le public a eu l’occasion d’interagir avec les conférenciers et d’approfondir la compréhension des enjeux liés à l’IA et à l’avenir du travail. Les questions suivantes ont notamment été débattues :

« Est-ce que l’IA va modifier l’enseignement et le travail des enseignants ? »
« Est-ce que l’IA, avec des outils comme ChatGPT, est une incitation à la paresse ?»
« Est-ce que l’IA va modifier les processus artistiques et le travail de l’artiste ? »
« Comment sera régulé l’IA ? »

Avec, des réponses à la fois techniques et philosophiques des différents conférenciers, mais aussi un éclairage théologique et philosophique complémentaire apportée par Dominique Degoul.

En résumé, la conférence a exploré les défis, les opportunités et les risques de l’intelligence artificielle dans le monde du travail.
Elle a souligné l’importance de donner du sens à la technologie et de réfléchir à la manière dont elle peut être utilisée pour améliorer la vie professionnelle, tout en tenant compte des conséquences potentielles sur l’emploi, la relation entre l’homme et la machine, et la gestion de l’énergie. Approfondir la réflexion sur ces sujets est aujourd’hui indispensable pour l’utilisation de l’IA dans le monde du travail demain.

Visionnez le replay de la conférence ci-dessous :

(NB: veuillez nous excuser du léger incident technique rencontré à ce premier enregistrement, qui a été résolu depuis.)