Introduction à la pensée de Teilhard de Chardin

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Lors de son récent voyage en Mongolie, le pape François a rendu un hommage appuyé à Teilhard de Chardin. Le lieu et le moment étaient parfaitement choisis, car c’était il y a un siècle que le père jésuite a écrit une célèbre prière « la Messe sur le Monde », dans un désert de Mongolie. Il avait été recruté comme géologue par la Croisière Jaune d’André Citroën et se trouvait sans vin ni pain pour célébrer la messe. Il a donc écrit une prière nous rappelant le sens de l’offrande que la messe recèle.

Teilhard de Chardin est donc bien dans notre actualité et les critiques dont il a fait l’objet au Vatican sont en train d’être oubliées. Il est dans notre actualité d’une autre manière : sa pensée est un éclairage passionnant qui peut nous aider à donner du sens au monde complexe dans lequel nous vivons [1].

Repères biographiques

Pierre Teilhard de Chardin est né le 1er mai 1881 à Orcine (Puy-de-Dôme). Il fut professeur de physique au Collège jésuite de la Sainte Famille au Caire de 1905 à 1908 et fut ordonné prêtre le 24 août 1911. Entre 1914 et 1918, il est mobilisé comme brancardier.

Entre 1919 et 1922, il est doctorant en Sciences Naturelles – paléontologie. Puis il sillonne le monde jusqu’en 1946 avec un long séjour en Chine. Il meurt à New York le 10 avril 1955.

La pensée scientifique de Teilhard

La vue fixiste (l’homme a été créé tel qu’il est) avait déjà été ébranlée par Jean Baptiste de Lamarck (1744 – 1829) qui avait repéré des transformations d’organismes. Avec Darwin (1809 – 1882), la lecture littérale de la Genèse n’était plus possible. Pour autant, Teilhard se questionne : le hasard des mutations et leur sélection naturelle peuvent-elles expliquer l’évolution jusqu’à l’Homme ? Ou bien Dieu a-t-il piloté l’évolution au jour le jour (théorie du dessein intelligent) ? Teilhard n’est satisfait ni par le créationnisme, ni par le darwinisme, ni par le dessein intelligent.

Teilhard pense que Dieu ne fait pas ; Il fait se faire. Cela signifie que Dieu a initialisé la dynamique évolutive avec les bons paramètres à son début, puis a laissé l’évolution se dérouler. Il a donné l’impulsion initiale, sachant qu’elle pouvait – devait aller jusqu’à l’apparition de l’Homme sur Terre. Il ne faut pas en déduire que Dieu n’est que Créateur et qu’Il se désintéresse du monde. Il n’intervient que parcimonieusement afin que l’Homme soit libre.

Cette dynamique évolutive a conduit Teilhard à penser qu’il fallait considérer trois infinis au lieu de deux. L’infiniment grand (l’Univers) et l’infiniment petit (les particules atomiques) sont les deux que nous apprenons à l’école. Le troisième infini est l’infiniment complexe. Il observe que les structures se complexifient quand elles se transforment : elles s’agrègent, construisent du complexe, jusqu’au cerveau humain capable de conscience.

La pensée philosophique de Teilhard [2]

L’évolution va-t-elle s’arrêter ? Non bien sûr, elle va se poursuivre, mais elle va devenir de plus en plus culturelle – spirituelle. L’humanité partage tous les jours des informations, des connaissances et des idées. Tout cela crée autour de la Terre une couche pensante que Teilhard appelle Noosphère. Cette Noosphère parviendra un jour à établir une union entre les Hommes, une pensée collective, ce qu’on peut rapprocher de l’intelligence collective. Mais Teilhard va plus loin encore : la Noosphère est une véritable conscience planétaire. Arrivée à ce stade, la sagesse irriguera l’humanité et Homo sapiens pourra porter son nom sans rougir. C’est alors que le mal, celui que les humains se font à eux-mêmes et entre eux, s’éloignera de leur réalité.

La pensée théologique de Teilhard

L’unification de l’humanité est bonne chose pour la planète et pour ses habitants qui connaîtront la paix. Elle n’est pourtant pas le stade final de cette évolution ; l’aboutissement est le point Oméga. Alpha étant ce point initial, le Big Bang issu de Dieu, Oméga est le point de retour à Dieu. Inspiré par les écrits de saint Paul, Teilhard met l’accent sur l’union de toute la Création, c’est-à-dire de tout l’Univers en ce point Oméga.

Qu’est-ce que ce point Oméga ? C’est le Christ lui-même : Il accueille et récapitule toute la Création. Teilhard pense que nous avons tendance à rétrécir le Christ sous l’influence de notre expérience d’humains alors que le Christ est universel. Cela signifie qu’Il est si grand qu’il embrasse le monde en son entier et tout l’Univers. Il est une sorte d’aimant pour toute l’évolution, celle de l’humanité n’étant qu’un cas particulier ; et il nous conduit à Dieu.

Deux idées sont également importantes dans la théologie de Teilhard. D’abord, celle de milieu divin, titre d’un livre de Teilhard [3]. Toute la Création est sacrée ; Dieu est omniprésent : Il est autour de nous, au milieu de nous, avec nous, en nous. La deuxième idée est celle de personnalisme. Avec la noosphère et l’unification, il ne s’agit pas de rendre les gens identiques ; il ne s’agit pas de diviniser les éléments naturels, ni de dissoudre les esprits dans un bain divin, le grand Tout. Il s’agit de conserver les individualités de chacun ; tous les êtres humains sont des personnes capables de relations avec les trois Personnes divines, le Père, le Fils et le Saint Esprit.

Liens avec l’actualité

La pensée de Teilhard peut nous aider à comprendre le monde : la planétisation – mondialisation, les technologies numériques et l’Intelligence Artificielle, l’écologie… : comment vivre ces grands changements ? Face aux multiples crises que nous traversons, Teilhard nous aide à penser que nos efforts individuels construisent une œuvre collective ; il nous aide à garder l’espérance au cœur de nos actions. N’est-ce pas le bon moment pour découvrir ou redécouvrir ce prêtre jésuite, scientifique et philosophe ?

 

[1] Cet article est fortement inspiré par mon livre, Teilhard de Chardin, toujours d’actualité, paru en novembre 2021 aux éditions Médiaspaul.

[2] Ces deux premières parties sont une synthèse du livre le plus connu de Teilhard de Chardin : le phénomène humain, qu’on peut trouver en livre de poche aux éditions du Seuil, Points Sagesses.

[3] Le milieu divin, éditions du Seuil.